Cette fois je te tiens salaud !
A quelle échelle ce jeu peut-il se pratiquer : privément, devant quelques témoins, ou si l’on veut regarder plus grand, à dimension géopolitique ? Pour mémoire, les analystes transactionnels posent que le but pour le joueur, est de justifier sa rage quasi sans limites (qu’elle soit juste ou non). Dit autrement, décharger sa fureur, contenue depuis des années (et des années), devant une situation vécue comme une injustice patente. Les rôles des partenaires sont simples, Victime et Agresseur. Le paradigme psychologique se situe entre Parent-Enfant (j’attendais que tu commettes un faux pas / oui, là, tu m’as bien eu …. et tu vas ressentir l’incommensurabilité de mon courroux !). Le paradigme social est positionné Adulte-Adulte (vous avez fauté / vous dites vrai). Les coups se jouent en trois passes : provocation-accusation / défense-accusation / défense -châtiment.
Alors, allez-vous me dire, pour le joueur, quels sont les bénéfices ? Réponse en six points. Psychologique interne : justification d’une rage inextinguible. Psychologique externe : échapper au principe de confrontation de ses propres manquements. Social interne (dit autrement, le jeu) : cette fois je te tiens salaud. Pour information,aux US ce jeu porte l’acronyme NIGYSOB, signifiant now I get you son of a bitch). Social externe : ils cherchent tous à nous avoir (la formule aurait pu être plus verte). Biologique : agressivité réciproque. Existentiel (réassurance du joueur ou confirmation de sa vision du monde) : faire confiance est inenvisageable…
Ceci étant rappelé à l’échelle unipersonnelle, testons la dimension géopolitique.
Imaginons une partie de la population d’un pays agressant une partie de la population d’un autre pays : nous tenons les rôles, victime et agresseur. Il se pourrait que le pays dans lequel une part de sa population victime (sans même sous-entendre attendre le faux pas) se positionne directement à la troisième étape du niveau psychologique et annonce : démontrer la puissance de son courroux. Les trois coups sont d’ores et déjà joués. Le châtiment est en route. Ici, relire à nouveaux : les 6 bénéfices.
Gardons en mémoire que les vrais joueurs jouent à une fréquence somme toute assez régulière, trouvent des partenaires, gagnent en habileté, et que tout jeu se pratique avec des règles.
Cependant, force est de constater qu’une part d’inattendu s’introduit bien souvent, venant de zones aveugles auxquelles les joueurs ne font que peu de cas lorsqu’ils entament une partie, trop concentrés sur les bénéfices attendus. Il s’agit en l’occurrence d’un biais cognitif dénommé Illusion de Contrôle. Ce biais souligne que dans une situation, une personne (ou une communauté) est persuadée de sa capacité à contrôler, ou ad minima, d’influer sur son environnement, et particulièrement les phénomènes aléatoires. Ce qui signifie d’être en mesure de favoriser le positif et d’éviter le négatif. Cette illusion nourrit l’évitement de l’angoisse générée par ce qui peut apparaître a priori comme tout à fait incontrôlable. Les joueurs s’autorisent donc à tutoyer les limites de l’extrême.
La lecture factuelle de nos journaux laisse voir en filigrane ce que certaines situations actuelles ont, fort malheureusement, de commun avec les lignes ci-dessus. A grande échelle et systémiquement parlant, ce jeu éminemment complexe amplifie de façon quasi sismique le risque du non-retour. Le bénéfice biologique (agressivité réciproque) s’auto-entretient en boucles récursives, et le bénéfice existentiel (faire confiance est décidément impossible) se grave sinistrement dans le marbre. Sortir de ce schéma et transcender ces attitudes comportementales passe par la prise de conscience (Adulte-Adulte).
A l’échelle géo-politico-diplomatique, cette étape est indispensable pour faire sainement société. Sans jouer, pour vivre en cela la politesse de l’usage du monde.